Définition de « Désir »
Désir (nom commun)
- (Philosophie) Souhait irrationnel et obsédant qui porte sur la possession de quelque chose.
- Elle désire une nouvelle console de jeux.
- (Philosophie) Souhait.
- Que désirez vous ? – Un thé au miel, s’il vous plaît.
- (Courant) Appétit sexuel.
- Camille désire Lou très fort.
Comprendre la notion de « désir »
Un sens courant, deux sens philosophiques
Au sens courant, le désir est un « appétit » ou une pulsion sexuelle. On n’utilise presque plus le mot dans d’autres contextes. Si j’éprouve « du désir » ou si « j’ai du désir », c’est que j’ai envie de sexe.
Cela explique que « désir » soit assez rare dans la langue quotidienne. On lui préfère en général le verbe « désirer » : je peux désirer un café, une réduction, un peu d’attention, etc. Ce n’est pas forcément sexuel. Le verbe « désirer » n’a pas de connotation marquante.
L’usage courant fait donc une différence entre le nom et le verbe. D’un coté le nom commun : rare et toujours sexuel. De l’autre le verbe : fréquent et non connoté.
Les usages philosophiques
Les philosophes s’écartent du langage ordinaire de deux façons :
- Premièrement, ils utilisent souvent le nom commun plutôt que le verbe.
- Deuxièmement, ils donnent à « désir » un sens non sexuel.
De plus, l’usage philosophique est hésitant. On donne un sens plus ou moins large à la notion selon les contextes :
- La plupart du temps, le désir est un type de souhait très précis, qui se distingue d’autres genres de souhaits. C’est le sens classique, qui va être étudié dans cet article.
- D’autres fois, le désir est une notion beaucoup plus large : n’importe quel souhait peut être vu comme une forme de désir.
Cette tension entre deux usages n’est jamais mentionnée dans les dictionnaires de philosophie. Soit le dictionnaire fusionne les deux sens en une seule définition ; soit il focalise son analyse sur un des sens et ignore l’autre.
Tout se passe comme si le sens philosophique « large » de désir n’était pas légitime ou n’existait pas. Pourtant, il est nécessaire de l’avoir en tête pour comprendre certains textes sur le désir.
Qu’est-ce que le désir ?
Le désir est un souhait irrationnel, obsédant et impossible à satisfaire, qui porte sur la possession de quelque chose. On dit en souvent que le désir est un manque que rien ne peut combler.
Celui qui éprouve du désir est un sujet humain, et il voit l’objet de son désir comme un bien, un élément positif. L’analyse du désir distingue donc à première vue :
- un sujet désirant
- un désir
- un objet désiré
Mais beaucoup d’analyses affirment que ces trois éléments ne sont pas réellement ou clairement séparés.
5 caractéristiques du désir
Par définition, un désir ne peut jamais être rationnel. Quand on s’obsède pour un nouvel objet technologique ou pour un vêtement qui nous plaît, ça n’a pas grand chose de rationnel ou de raisonnable. L’irrationalité est constitutive du désir.
Le désir est obsédant. Il a une emprise psychique sur l’être humain et cause un trouble. Celui qui désire n’agit plus normalement : il pense sans cesse à l’objet désiré, il en parle en permanence. Le désir influe sur son comportement et interfère avec le reste de son existence.
Point important, le désir ne peut pas être comblé. Quand on obtient l’objet souhaité, on cesse de le désirer. Notre désir n’est pas comblé ou satisfait : il n’existe plus. La disparition d’un désir particulier n’est toutefois pas la fin du désir en général : nous n’arrêtons jamais de désirer. Notre désir se déplace simplement vers de nouveaux objets. On dit ainsi que le désir est insatiable, qu’il ne peut pas être rassasié.
Le désir est d’abord un phénomène psychique. Un désir est avant tout quelque chose qui occupe l’esprit. La dimension physique du désir existe, mais elle n’est pas au premier plan.
Enfin, le désir est intense et durable. Ce n’est pas n’importe quelle envie. Il n’est pas un élément éphémère ou sans accroche dans l’individu. Il est vécu comme intense et s’étend dans le temps. On désire souvent quelque chose pendant des semaines, des mois, voire des années.
L’objet du désir
L’objet désiré est une chose que l’individu souhaite posséder. Tout ne peut pas être objet de désir : on ne désire pas « avoir un job », réussir ses études, ou se faire des amis, etc. Seules les choses qu’on peut posséder peuvent être objet de désir.
Cet objet est extrêmement précis. On ne souhaite pas un nouveau téléphone, ou n’importe quel modèle d’une grande marque. On désire ce modèle précis, de telle génération, avec telle couleur et telle capacité de stockage. Si je désire un Fairphone avec slim case rouge, le reste des smartphones m’indiffère. Même un Fairphone avec une case bleue ne m’intéresse pas.
L’objet du désir est toujours absent et difficile à obtenir. On ne désire pas ce qu’on a déjà ou qu’on obtient facilement. On peut en avoir envie, mais on ne ressent pas de désir. Cette inaccessibilité de l’objet participe de l’intensité du désir.
Enfin, l’objet du désir est largement fantasmé. Le sujet désirant se forge une image de l’objet et lui attribue souvent des propriétés qu’il n’a pas. Il imagine qu’avoir l’objet va lui procurer un plaisir immense ou que cela aura des effets impressionnants. Il y a un écart entre l’objet réel et la représentation que s’en fait l’individu.
Cette représentation joue un rôle central dans le désir. Au point où l’on peut s’interroger : le sujet désire-t-il l’objet réel ou l’objet tel qu’il se l’imagine ? Son désir est-il produit par l’objet lui-même ou par la représentation qu’il s’en fait ? Une représentation peut être déformante, voire totalement fausse. Elle peut attribuer à l’objet des qualités qu’il n’a pas réellement ou à l’inverse occulter ses défauts.
Le sujet du désir
Le sujet désirant est un humain conscient de son désir. Celui qui désire sait qu’il désire et sait ce qu’il désire. Par opposition, celui qui a un besoin peut ignorer complètement son besoin (de vitamines par exemple), ou bien ressentir une tension sans mettre le doigt sur ce dont il a besoin exactement (des vitamines).
On dit souvent que le sujet désirant ressent un manque. L’objet désiré est alors pensé comme ce qui va combler ce manque, qui va le faire disparaître et apaiser l’individu. Cette description classique va toutefois à l’encontre des caractéristiques vues plus haut : le désir ne peut pas être comblé. L’apaisement recherché ne peut être que temporaire, s’il n’est pas purement illusoire.
Dernier point, le désir est une part intégrante de la vie humaine. Quel que soit le manque ou le trouble vécu par le sujet, celui-ci n’a pas le choix de désirer ou non. Un désir en chasse un autre, mais le cycle de désirs successifs ne s’arrête pas. Être humain, c’est désirer.
Désir et plaisir
On relie souvent les notions de désir et de plaisir. Le désir est orienté vers un plaisir futur, ou est lui même source de plaisir. On distingue 3 cas :
- l’objet désiré cause du plaisir
- la possession de l’objet cause du plaisir
- le fait de désirer cause du plaisir
Ces 3 situations peuvent se cumuler. On peut à la fois éprouver du plaisir à désirer, tirer du plaisir de la possession de la chose, et en tirer de son usage. Ces situations peuvent aussi rester théoriques : il n’est jamais garanti que le désir cause du plaisir. Ce n’est pas parce qu’on espère un plaisir ou qu’on s’attend à en ressentir que ça va forcément arriver.
Cas n°1 : l’objet désiré est vu comme une source de plaisir. Ici, on ne recherche pas la chose pour elle-même. On s’y intéresse pour les qualités qu’on lui attribue ou les avantages qu’on veut en tirer. C’est ce qui se passe quand on veut un téléphone parce qu’il est « beau », ou parce qu’on pense qu’il nous aidera à nous faire accepter par un groupe.
Cas n°2 : le simple fait de posséder l’objet est censé procurer du plaisir. Peu importe ce qu’on fait de l’objet ou ses caractéristiques, l’important est de le posséder. Les collectionneurs qui achètent l’édition spéciale d’un jeu vidéo sans l’ouvrir sont dans ce cas. Ils ne veulent pas l’édition spéciale pour l’utiliser. Leur plaisir vient de la possession, pas de l’usage.
Cas n°3 : le plaisir vient du simple fait de désirer. Ressentir du désir n’est pas toujours désagréable : on ressent une excitation, on se raconte des histoires, etc. Il y a un plaisir à désirer dont on peut être conscient. Certains vont même jusqu’à ne pas réaliser tous leurs désirs, pour profiter de leur état de désir.
Réaliser ses désirs
Il arrive qu’on obtienne l’objet désiré. On peut alors ressentir une forte satisfaction, du plaisir, mais aussi de la déception ou de la désillusion.
Face à l’objet, on prend conscience de l’écart entre la chose réelle et ce qu’on imaginait. L’aura de l’objet disparaît et nous ne le désirons plus. Sa banalité est flagrante : ça n’est qu’un téléphone, qu’une paire de sneakers. L’objet ne va pas résoudre tous nos problèmes, il n’est pas si merveilleux. C’est la déception.
Le risque d’être déçu conduit certains à ne pas réaliser tous leurs desirs. Ils jugent préférable de ne pas obtenir la chose souhaitée, car ils anticipent leur désillusion et reconnaissent l’irrationalité du désir. Ils savent que l’objet ne sera pas à la hauteur de leurs espérances et qu’il perdra son intérêt une fois obtenu.
Ce renoncement volontaire n’arrête pas le désir. L’individu continue d’être attiré par l’objet, mais il n’essaie plus de le posséder. Ce choix est parfois une façon de conserver son désir, de garder ses aspects agréables. Ça peut aussi être un moyen de contrôler son désir, de le calmer en refusant l’objet.
Maîtriser le désir
La tradition philosophique dévalorise souvent le désir. Il est rangé du côté du corps, de l’irrationnel. On le présente comme un obstacle : le désir nuit à l’autonomie et la liberté. Il freine la partie rationnelle de l’humain, il nous aliène et nous écarte de qui nous sommes vraiment.
Cette vision s’intègre dans un cadre de pensée qui dénigre le corps et la matière. L’humain est vu comme un être composé : il a une part rationnelle, voire immortelle, et une autre part physique, voire animale. Dans cette tradition, c’est bien sûr l’aspect rationnel qu’on valorise. Le désir est alors critiqué et combattu.
Le vocabulaire autour du désir porte la marque de cette tradition. On parle de « dominer » le désir, on regrette son « emprise » sur nous ou sa « tyrannie ». Ceux qui veulent contrôler leur désir « luttent », ils veulent se » libérer du désir » et cherchent la « paix ». C’est un lexique de la violence et de la guerre qui n’a rien d’anodin et qui mérite d’être remarqué.
Certains suggèrent que l’objectif de maîtriser ses désirs est lui même issu d’un désir. Il y aurait un désir de rationalité, d’autonomie. Ce désir pousserait inconsciemment à vouloir contrôler les autres désirs, irrationnels.
Ces conceptions utilisent cependant un sens particulier de « désir ». Le désir de rationalité ne correspond pas à la définition standard du désir. Il n’est pas psychologiquement prégnant. Il ne cause pas un trouble permanent dont l’individu aurait conscience.
On utilise alors un sens « large » de désir et on abandonne le vocabulaire guerrier. Le désir devient une simple attraction. On peut alors classer les désirs, en distinguer différents types. Toutefois ces usages peinent à cerner les limites du désir. L’extension de désir devient très vaste, et sa distinction avec d’autres réalités beaucoup plus floue.
Ce que le désir n’est pas
Le désir n’est pas le besoin. Le besoin est nécessaire à la vie. Il est lié au corps et n’est pas propre à l’humain : les plantes et les animaux ont des besoins. À l’inverse, le désir est un phénomène humain et n’est pas lié à la survie. On peut désirer ce dont on a pas besoin… ou avoir besoin de ce qu’on ne désire pas.
Le désir n’est pas la volonté. Une volonté est par définition rationnelle. Elle présente une dimension intellectuelle, voire un détachement par rapport au corps. Certaines théologies parlent de la volonté de Dieu : un être comme Dieu peut vouloir, mais pas désirer.
Le désir n’est pas l’envie. Une envie ne dure pas : elle est éphémère. Elle est moins intense qu’un désir et peut être satisfaite. Certains désignent l’envie comme « désir soudain et passager ». Ce n’est pas parfaitement exact, mais cela signale bien la proximité des deux notions.
Une revalorisation du désir
Contre la vision négative du désir, plusieurs penseurs ont cherché à revaloriser le désir. Des philosophes comme Spinoza, Nietzsche, ou Deleuze insistent sur le caractère positif du désir.
Chez Spinoza par exemple, le désir n’est plus un attribut strictement humain. Tout ce qui est désire : le désir est un effort pour continuer à exister qu’on rencontre chez tout être. Ce n’est plus un phénomène uniquement psychique : il peut relever de l’ontologie, de la physiologie, de la physique ou encore la de la politique. Il est l’essence de toute chose, même si sa forme humaine a des spécificités.
Les philosophes qui repensent la notion risquent cependant de ne plus parler de la même chose que les autres. Ils utilisent un sens de désir clairement distinct du sens classique vu plus haut. Ils définissent la notion d’une façon nouvelle, plus large, mais qui peine à faire consensus hors de leur propre théorie ou de leur courant.
La mention d’un sens « large » de désir en début d’article vise précisément cette difficulté. Il y a bien des usages alternatifs du concept, mais ils n’ont pas suffisamment d’unité. On peine à en extraire une définition à la fois précise, consensuelle, et détachée d’un auteur donné. Ces usages de » désir » ont un air de famille, mais ils ne forment pas nettement un sens à part entière.
Sources utilisées
- Désir, Dictionnaire de philosophie, Noëlla Baraquin, Armand-Colin, 2007
- Désir, Dictionnaire de philosophie, Christian Godin, Fayard, 2004
- Désir, Dictionnaire des concepts philosophiques, Michel Blay, Larousse-CNRS, 2007
- Désir, Lexique de philosophie, Olivier Dekens, Ellipses, 2002
- Désir, Nouveau vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, Louis-Marie Morfaux, Jean Lefranc, Armand-Colin, 2005
- Désir, Philosophie de A à Z, Collectif, Hatier, 2000
- Désir, Vocabulaire de Spinoza, Charles Ramond, Ellipses, 19991